Hubert, fils de Bertrand, duc d'Aquitaine
et arrière-petit-fils de Clovis était en l'an 683 un seigneur célèbre
dans toute la Gaule par son intelligence, sa richesse et sa bonté. Il
était âgé de vingt-huit ans et jouissait d'une renommée des plus flatteuses
et d'une santé superbe. Il avait un visage loyal, ouvert et souriant.
Ayant délaissé la Neustrie où la corruption des grands lui causait souci
et offense, il passait ses jours en Ardenne, chez son parent, Pépin
d'Héristal, comme lui puissant seigneur et maire du palais des rois
Austrasie.
On ne connaissait à Hubert qu'une passion vive, irrésistible, furieuse:
la chasse. A part cela, peut-être à cause de cela, car la chasse le
tenait éloigne des inévitables et ordinaires querelles, il avait une
grande réputation de sagesse. Pourtant il ne pratiquait aucune religion,
étant, certes, trop occupé de vénerie pour adorer aucun dieu. Il avait
complètement oublié l'enseignement très chrétien reçu de sa tante, sainte
Ode, qui lui servit de préceptrice, car la princesse Hugberne, sa mère,
était morte en le mettant au monde.
Il se souciait donc fort peu de la messe et des solennités chrétiennes,
mais il ne pensait pas mal faire. Il les ignorait simplement. Chaque
jour, il était a la chasse, parcourait la forêt
dont les halliers impénétrables étaient peuplés de sangliers et de loups,
et ne rentrait à son château qu'à la nuit pleine. Parfois, sans les
rechercher, il avait aperçu des idoles à l'abri de quelque chêne ou
sur le bord des fontaines que les païens croyaient habitées de nymphes.
Il ne s'était pas attardé dans leur contemplation. Car s'il n'était
pas chrétien, il n'était pas davantage païen, encore qu'il ne fut pas
loin de croire que chaque arbre de sa chère forêt possédât une âme émue
et douce, ne se rendant pas compte sans doute qu'il prêtait ainsi simplement
aux choses le reflet de son âme heureuse.
Le duc Hubert chassait ! Il s'occupait à bien dresser ses lévriers rapides,
ses énormes matins de Tartarie et ses griffons poilus, et a affréter
les gerfaut de Meuse. Il aimait voir sa meute gravir les pentes des
collines, tandis qu'il allait dans le feu du soleil ou parmi les tempêtes.
Il maniait avec une dextérité égale la hache, l'épieu, le couteau, l'épée.
Il tuait d'une main sûre.
Il savait que, pour les chrétiens, le cerf devait à sa noblesse d'être
l'animal privilégié de Notre Seigneur Jésus-Christ; pourtant il se réjouissait
d'entendre le cerf gémir, lorsque les chiens le tiennent rendu, et,
en lui trouant le flanc avec l'épieu, sa main ne tremblait pas le moins
du monde. Hubert attendait même, avec grande impatience, qu'il lui fut
donné de rencontrer le fameux et presque introuvable cerf blanc, mais
pour le seul fait de sa grande rareté, et non parce que sa mort octroyait
au chasseur, comme chacun le savait de père en fils en Ardenne, le droit
de baiser à son choix les lèvres de la plus douce et mignonne pucelle.
Un jour d'hiver, Hubert partit a cheval pour la chasse, dès les premières
lueurs de l'aurore. C'était le jour de la fête de la Nativité de Notre
Seigneur. Du givre était épandu sur les arbres; du brouillard flottait
au creux des vallons; quelques flocons de neige tombaient. Et comme
il commençait à chasser, un cerf dix-cors, entièrement blanc, d'une
taille extraordinaire, bondit d'un fourre et s'élança devant lui, l'entraînant
dans les profondeurs de la forêt où le galop de son cheval le poursuivit.
Après plusieurs heures, le cerf ne montrait toujours aucune fatigue
alors que Hubert était rompu. Pourtant la course folle continua.
Soudain, il s'arrêta net. Dans une vision de lumière, Hubert vit entre
les bois du cerf l'image du Crucifié et il entendit une voix qui lui
disait :
- Hubert ! Hubert ! Jusqu'à quand poursuivras-tu les bêtes dans les
forêts ? Jusqu'à quand cette vaine passion te fera-t-elle oublier le
salut de ton Ame ?
Hubert, saisi d'effroi, se jeta à terre et, comme Saint Paul, il interrogea
la vision :
- Seigneur ! Que faut-il que je fasse ?
- Va donc, reprit la voix, auprès de Lambert, mon évêque, a Maëstricht.
Convertis-toi. Fais pénitence de tes pêchés, ainsi qu'il te sera enseigné.
Voilà ce à quoi tu dois te résoudre pour n'être point damné dans l'éternité.
Je te fais confiance, afin que mon Eglise, en ces régions sauvages,
soit par toi grandement fortifiée.
Et Hubert de répondre, avec force et enthousiasme:
- Merci, ô Seigneur. Vous avez ma promesse. Je ferai pénitence,
puisque vous le voulez. Je saurai en toutes choses me montrer digne
de vous!
Hubert, duc et maire du palais des rois d'Austrasie, tint parole. Il
se rendit auprès de Lambert, son évêque, qui le reçût avec joie. Il
implora sa protection, l'assurant qu'il voulait consacrer a Dieu le
reste sa vie commencée dans l'impiété. L'évêque lui donna sa bénédiction
en Notre Seigneur Jésus-Christ et le mit sur la voie vertueuse et difficile
du salut.
Abandonnant palais et richesses, renonçant à toutes les vanités de ce
monde, Hubert se retira à Andage, dans les bois de Chamlon, ou Notre
Seigneur s'était montré à lui dans les ramures d'un cerf blanc, sous
la forme d'une croix étincelante.
Il habitât le monastère élevé en cet endroit par Plectrude, femme de
Pépin d'Héristal, pour perpétuer le souvenir de l'incroyable mais véridique
intervention de Dieu en faveur de son parent. Vêtu d'une rugueuse cotte
de mailles appliquée sur sa chair, ne mangeant que racines, Hubert vécut
là sept années, dans le recueillement, uniquement occupé à prier pour
son salut. Il y vécut pauvre et parvint au complet détachement des biens
de la terre, et même à oublier entièrement le trouble enivrant qui l'agitait
lorsqu'il allait à la chasse, cette chasse qui n'avait été pour lui
qu'une illusion de bonheur agréable et dangereuse.
Mais le bruit de sa conversion se répandit dans toute l'Ardenne. Et
les païens, en apprenant que cet homme si réputé, ce grand
chasseur, ce très haut et noble seigneur, avait avec éclat embrassé
la religion du Christ, furent ébranlés dans leurs convictions détestables
et se convertirent en masse. Bien des idoles furent alors détruites
ou abandonnées, telles ces statues de la Diane chasseresse, dont Hubert,
jadis, n'avait pas été sans subir le charme.
Ainsi Dieu, dans sa profonde sagesse, avait suscite aux incroyants l'apôtre
le plus irrésistible et le plus séduisant.
Or Lambert, évêque de Maëstricht, ayant été massacré par des païens,
Hubert fut appelé à lui succéder. Et le pape saint Serge voulut sacrer
de ses propres mains le riche et puissant duc, si particulièrement aimé
du Seigneur.
Mais comme Hubert, dès son retour de Rome, cherchait a revêtir les ornements
pontificaux laisses par son prédécesseur, il ne trouva pas d'étole.
- Le ciel me juge donc indigne de l'épiscopat, dit-il, puisque la marque
la plus insigne de l'autorité ecclésiastique me fait défaut ?
A peine eût-il prononcé ces paroles qu'un ange parut, de lumière céleste
environné, qui lui remit une étole blanche, tissée de soie et d'or par
la Sainte Vierge. Ensuite, Saint-Pierre lui-même apparut et lui présenta
une clé, symbole du pouvoir qu'il aura de guérir les enragés et les
déments. Cette clé n'était rien moins qu'un fragment de la propre chaîne
de Saint-Pierre.
En l'année 708, Hubert établit à Liège son siège épiscopal, après avoir
pris le soin d'y faire transporter les restes de saint Lambert, sur
les lieux.
Dès lors, Hubert fit constamment oeuvre pie; convertit de nombreux incroyants;
encouragea la charité; rechercha une justice égale pour tous et mis
en chaque lieu des échevins; car il aimait les humbles et redoutait
par dessus tout qu'on lui reprochant d'avoir été grand parmi les hommes
et qu'on put l'accuser d'orgueil devant Dieu. Il reçut du ciel le pouvoir
de faire des miracles et guérit force malades et possédés, ouvrant même
a la lumière, comme sainte Lucie de Syracuse, des yeux qui ne voyaient
plus.
Il vécut la fin de sa vie malade et souffrant une douleur lancinante
et terrible que rien ne pouvait soulager, il se sentit rapidement dépérir.
C'est alors qu'un ange lui apparut en songe pour lui annoncer la proche
issue de son passage terrestre. Hubert, aussitôt, fit choix du lieu
de sa sépulture, dans l'église qu'il avait fait construire, à Liège,
en l'honneur du prince des Apôtres. En prenant la mesure de son tombeau,
il dit à ceux qui l'assistaient:
- Vous creuserez ici ma tombe et y déposerez ma dépouille mortelle.
Dieu veuilles recevoir mon Ame!
Et ainsi qu'il l'avait prédit, il rendit, peu de jours après son Ame
à Dieu, le dernier vendredi du mois de mai de l'an de Notre Seigneur
sept cent vingt-sept, dans la septante et unième année de son âge.
Sa mort fut un deuil universel.
C'est alors que de nouveaux miracles, innombrables et retentissants,
se produisirent. Quatre-vingt-huit ans après le décès de saint Hubert,
les moines bénédictins de Andage réclamèrent sa dépouille. Le pape ayant
donné son autorisation, Valcand, évêque de Liège, ordonna de conduire
a Andage la chasse magnifique qu'avait fait ciseler Carloman pour y
mettre les reliques du saint. Ce qui eut lieu, en très grande pompe,
en présence du pieux Louis le Débonnaire.
Cependant, dès qu'ils eurent la chasse en leur possession, les bénédictins
d'Andage ne purent résister au désir de l'ouvrir. Ils y trouvèrent le
saint parfaitement conservé. Puis, certainement inspirés, ils eurent
l'excellente pensée d'en retirer l'étole de soie et d'or tissée par
la Vierge Marie.
Et cette étole miraculeuse tint, depuis lors, le monde dans l'émerveillement.
En effet, par elle, des malades, que la science des hommes ne parvenait
pas a guérir, furent sauvés. Et à travers les siècles, parmi les foules
qui s'empressèrent à Andage, les miracles, chaque jour, se renouvelèrent,
et aussi chaque jour fut glorifiée la bienheureuse mémoire de Saint-Hubert.
Or, un jour, le troisième du mois de novembre, longtemps après la mort
de saint Hubert, deux seigneurs ardennais chassaient dans la partie
de la forêt voisine de Andage. A leur grande surprise, malgré qu'ils
eussent battu et rebattu, ainsi que leurs veneurs, tous les bois, ils
ne trouvaient trace d'aucun gibier. Consternés et dépités, ils se souvinrent
tout a coup qu'ils étaient sur les lieux préférés par saint Hubert,
lorsqu'il chassait, avant d'appartenir à Dieu. Ils firent donc le vœu
d'offrir au saint le premier animal qu'ils tueraient. Immédiatement
leurs chiens lancèrent un sanglier énorme, qui entraîna meute et chasseurs
jusque sous les murs même du monastère de saint Hubert. Là, le sanglier
s'arrêta, sans tenir tête, comme s'il s'offrait volontairement aux coups
des chasseurs, qui en effet, ne le manquèrent pas. Et tous furent dans
la plus grande joie de voir une telle pièce abattue. Mais oubliant la
promesse qu'ils avaient faite, les seigneurs donnèrent l'ordre d'emporter
le sanglier. Celui-ci, aussitôt, se dressa, comme s'il était indigne
d'être soustrait à sa pieuse destination, puis bondit, passa entre les
chiens et disparut aux yeux des chasseurs que remplirent l'épouvante
et le remords.
Et, depuis cette époque, le trois novembre est réservé à la fête de
Saint-Hubert.
Ce jour-là, les chasseurs prennent part à des grandes chasses organisées
en l'honneur du saint. Les cors sonnent le réveil en fanfare de tous
les villages de l'Ardenne. Les prêtres disent la messe à la lueur des
flambeaux. Le plus jeune chasseur fait la quête en offrant, en guise
de plateau, le pavillon de son cor retourne... ou tombèrent longtemps
des pièces d'or. Et le premier gibier tué est offert au saint eu égard
au grand amour de vénerie qu'il eut avant d'être sanctifié...